Un Big Bang annoncé !

Le 22 février 2018, les partenaires sociaux ont abouti à un Accord National Interbranche (ANI) dans le cadre de la consultation sur la réforme de la formation professionnelle. Moins de deux semaines plus tard, c’est Muriel Pénicaud, actuelle Ministre du Travail, qui annonçait vouloir aller plus loin dans la simplification de l’accès à la formation professionnelle avec :
• La monétisation du compte CPF
• La fin de l’intermédiation par les OPCA
• La création d’une application permettant à tous les salariés de mobiliser directement leur CPF depuis leur smartphone

Si les enjeux de cette réforme sont partagés par l’ensemble des parties prenantes, le rôle des différents acteurs de la formation professionnelles ainsi que les conditions de succès de cette réforme restent encore à préciser. Le gouvernement a la volonté de mettre le CPF au cœur du dispositif de formation professionnelle pour donner la possibilité aux individus d’être acteurs de leur évolution professionnelle.

 

Quels enjeux pour cette énième réforme ?

La démocratisation de l’accès à la formation professionnelle
Partenaires sociaux, entreprises, gouvernement, régions et établissements de formation s’accordent à dire que la mobilisation du CPF doit être simple, accessible en “3 clics”! L’enjeu est notamment très fort pour les publics ouvriers et employés qui se forment aujourd’hui près de deux fois moins que les cadres apparaissant plus qualifiés. La fracture est également très importante entre les salariés des grandes entreprises et des petites entreprises : plus de 60% des salariés des grandes entreprises se forment chaque année contre seulement 25% dans les entreprises de moins de 20 salariés.

Accompagner les mobilités inter-secteurs et interbranches
Lors de la création du CPF, à la suite de l’ANI de novembre 2013 et de la loi de mars 2014, des listes CPF de branches, régionales et nationales ont été créées. L’objectif était d’aiguiller les salariés dans le choix des formations à suivre afin de sécuriser les parcours professionnels en mettant l’accent sur les formations logiquement en lien avec les besoins de leur employeur. Néanmoins, ces évolutions ont conduit à un cloisonnement des formations par secteur et donc rendu difficile l’utilisation du CPF pour accompagner une mobilité interbranche. On assiste aujourd’hui à un changement de paradigme dans la mesure où tous les acteurs s’accordent à dire que ces listes doivent disparaître.

Optimiser le temps consacré à la formation pour se former “plus” et “mieux”
Le manque de temps constitue un frein à la formation pour les salariés et leurs employeurs. Cependant, le temps de formation peut être optimisé en capitalisant sur les compétences déjà possédées par les salariés dans le but de ne consacrer du temps qu’à l’essentiel. A titre d’exemple, l’émergence prochaine de la technologie LIFI (WIFI par la lumière) nécessitera de nouvelles compétences. Néanmoins, les techniciens éclairagistes et électriciens qui déploieront probablement cette technologie auront besoin d’être formés sur ses spécificités uniquement.

Ainsi, ces acteurs ne changeront pas de métier, mais auront besoin de monter en compétence sur ce champ. En ne suivant uniquement des formations répondant au besoin en compétence des publics, le temps consacré aux formations portant sur des compétences déjà maîtrisées pourra ainsi être utilisé autrement.

 

Des facteurs clés de succès espérés…

La plateforme CPF : outil principal de mise en œuvre de la réforme
La plateforme CPF qui sera probablement déployée qu’à partir de janvier 2019, sera la principale porte d’entrée pour l’accès à la formation professionnelle pour les salariés. Elle devra constituer un outil d’identification des formations, des passerelles entre les métiers et les évolutions professionnelles ainsi qu’un outil de gestion des inscriptions. La plateforme du CPA dont l’ambition était similaire, n’a pas rencontré le succès escompté : il faudra donc tirer des leçons de ce succès en demi-teinte.
Le succès du “nouveau” CPF reposera donc sur la capacité de la plateforme à proposer un service simple et accessible à tous… qui n’exige pas des utilisateurs d’être des experts usagers !

Une offre de formations pensée et structurée en blocs de compétences
La réforme de mars 2014 a déjà initié la structuration des formations inscrites au RNCP en blocs de compétences. Le déploiement de l’Inventaire des certifications apporte une visibilité – relative – sur des formations ciblant des compétences spécifiques. Néanmoins, l’offre de formations est encore majoritairement peu modulaire. Or, c’est bien là que se trouve la clé de l’individualisation des parcours et donc de la formation professionnelle axée sur les besoins.

 

La transformation des organismes de formations
Les organismes de formations sont certainement les premiers acteurs concernés par la mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle à venir. Ils se positionnent logiquement comme le premier interlocuteur des entreprises, des salariés ou des demandeurs d’emploi souhaitant suivre ou mettre en place une action de formation. Ce sont aussi les acteurs en charge de la structuration des formations en blocs et de sa mise en œuvre opérationnelle : positionnement des stagiaires avant l’entrée en formation, conception des parcours individuels, ingénierie de certification. Autant de sujets dont le succès de la mise en œuvre sera conditionné par la capacité des opérateurs de formation à se transformer.

Des questions toujours sans réponse claire…

Si la feuille de route et les objectifs de la réforme semblent clairs, les modalités de sa mise en œuvre restent encore à définir et certaines interrogations subsistent :

  • Comment harmoniser la lecture des métiers et des formations en blocs de compétences transférables ?
  • Quel sera le périmètre des formations accessibles via la plateforme CPF ? Les formations pour lesquels les pré-requis sont importants ne pourront probablement pas faire l’objet d’une inscription immédiate mais seulement d’une mise en relation avec les organismes.
  • La plateforme CPF proposera-t-elle des services ad hoc fournis par des opérateurs privés, comme par exemple l’aide à l’orientation ou encore l’identification des formations accessibles aux handicapés ?
  • Quel sera précisément le rôle de France Compétences dans la structuration des certifications et des référentiels métiers afin que ceux ci-soient harmonisés ?
  • Comment les OPCA vont-ils se transformer en Opérateurs de compétences ? Quelle offre de services vont-ils proposer ?
  • Comment les opérateurs régionaux et de l’emploi vont-ils s’adapter pour modifier la manière dont ils choisissent et commandent les formations ?

Autant de questions auxquelles les partenaires sociaux, les acteurs de l’emploi, le gouvernement, les entreprises et les organismes de formation vont devoir répondre très vite sous peine de voir le Big Bang annoncé réduit à une simple étincelle…

 

Mathieu Hivet, Directeur Associé 

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