Le 15 novembre dernier, l’exécutif a transmis aux partenaires sociaux un document d’orientation de 10 pages, celui-ci faisant état des mesures phares qui guideront la réforme de la formation professionnelle dont la loi devrait être discutée aux alentours du printemps 2018.

Cette feuille de route annonce une transformation en profondeur dans la mesure où elle touche l’ensemble des acteurs, des dispositifs, des financements du secteur de l’emploi-formation…
Il s’agit de modifier les différents mécanismes de régulation de l’offre de formation & de certification, mais aussi de rediriger les financements tout en désintermédiant l’accès à la formation afin qu’elle touche une plus grande diversité d’individus.

Pour cela, les partenaires sociaux devront se pencher sur des négociations visant à repenser : les modalités du CPF, la simplification des plans de formation des entreprises, la formation des personnes les plus vulnérables (demandeurs d’emploi, jeunes) ou encore la (re)valorisation de l’alternance… le tout agrémenté par les mots d’ordres « compétences, rationalisation, universalisation, personnalisation » dans une société subissant de plein fouet de nombreuses transformations comme celle de la transition numérique, de la mondialisation etc.

Miser davantage sur les compétences et recentrer la réglementation sur celles-ci, apparaîtrait ainsi comme une des solutions clef pour lutter contre le chômage  :  le chômage de masse serait en effet devenu le vrai mal du siècle  français avec 3 480 000 de chômeurs selon les récentes données Pôle Emploi. Un chantier colossal est donc attendu et, où les premières fondations viennent d’être érigées dans l’objectif de reconstruire un système de formation en réelle adéquation avec les enjeux économiques, sociaux et technologiques de la société.

Retour sur les premières pistes annoncées par le gouvernement, celles-ci ont pour objet « d’expliciter les principaux objectifs au vu de la réforme prochaine à conduire… ainsi que les options possibles sur lesquelles les partenaires sociaux sont appelés à négocier » (Document d’orientation – Novembre 2017).

 

Transparence, adaptabilité, cohérence, simplification et équité, tel est le crédo que le gouvernement souhaite mettre en application.

« Créer une liberté professionnelle pour les salariés via un compte personnel de formation facile d’accès, opérationnel et documenté »

« Le CPF doit devenir l’unique droit personnel à la main des individus dans une logique d’appropriation directe ». Le CPF[1] semble pourtant souffrir actuellement de limites dans sa mise en œuvre malgré des résultats non négligeables. Toutefois selon le CNEFOP (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle), les conditions de mobilisation du CPF restent à améliorer. De plus, face aux espoirs perdus du CIF, le gouvernement préconise un approfondissement du CPF afin de simplifier les mécanismes d’accès à la formation professionnelle. Pour cela, le salarié doit devenir totalement autonome (plus aucun intermédiaire ne rentrera en compte dans la gestion de son propre compte de formation), et l’accès au CPF sera facilité par la suppression des listes de formations éligibles  accusées de restreindre les possibilités d’accès à la formation pour les demandeurs d’emploi !

En somme, les demandeurs d’emploi pourront avoir accès à des formations certifiantes, qualifiantes ainsi que diplômantes. Afin de pallier cet objectif d’appropriation directe, une application numérique verra le jour ! Malgré une amélioration visible de son interface internet en 2016, le site du CPF peine à afficher des informations sur les certifications lisibles. Cette application permettra de mettre à disposition de ses utilisateurs des données en temps réel concernant les droits individuels acquis sur le CPF, mais aussi concernant les offres d’emploi disponibles sur le bassin d’emploi, les formations préparant à l’acquisition des compétences requises ou encore le taux d’insertion dans l’emploi à l’issue des formations proposées.

Organiser un effort de formation des demandeurs d’emploi pour lutter contre le chômage

Le gouvernement mentionne un déficit de compétences s’expliquant par les difficultés structurelles & conjoncturelles de la France. Le manque de qualification de certains publics dont les compétences ne sont pas suffisamment adaptées aux évolutions de la société, suscite un réel questionnement. En parallèle du rôle attendu des régions, un plan d’investissement compétences (PIC) est envisagé à partir de 2019 : toujours dans cette logique d’accessibilité à un plus grand nombre, le PIC (financé sur la base d’un prélèvement de la masse salariale) permettrait ainsi de former un million de demandeurs d’emploi de longue durée ainsi qu’un million de jeunes sans qualification. Néanmoins, la réussite du PIC repose une nouvelle fois sur l’adéquation entre les offres de formations et les besoins en compétences des entreprises sur le marché !

Favoriser l’investissement massif des entreprises dans les compétences des salariés

Au-delà de leur participation au financement de la formation professionnelle (14,3 milliards de la formation professionnelle a été financée par les entreprises – chiffres PLF 2015), les entreprises devront s’assurer des besoins en compétences de leurs salariés et les anticiper, lors par exemple d’entretiens professionnels biannuels qui auront pour but de favoriser et surtout de formaliser les plans de formation. A noter qu’il est urgent d’adapter les capacités (en parallèle des moyens financiers qui devront leur être apportés) des salariés issus de TPE-PME aux enjeux de la révolution numérique. Dans l’ensemble, des outils & contenus adaptés aux besoins en formation des salariés (temps disponible, modalités pratiques d’accès sur la base du e-learning) participeront à l’élaboration d’une pédagogie plus souple et plus active…

 

A l’aube d’une “Révolution Copernicienne” – Refonder le système de formation en alternance sur les besoins des entreprises et attentes des jeunes

Le document fait état d’un système d’alternance complexe et moins efficient que le modèle de nos voisins européens comme l’Allemagnel’Allemagne compte trois fois plus d’apprentis qu’en France et présente un taux de chômage des jeunes trois fois moindre, soit le taux le plus faible d’Europe. « Malgré des progrès récents » indique le document d’orientation, force est de constater une certaine rigidité du système s’expliquant par une gestion administrative assez bureaucratique des centres de formations d’apprentis (CFA), ne répondant pas toujours aux besoins des entreprises et de manière plus générale à ceux des branches. D’autant plus que beaucoup de ces CFA peinent à remplir leurs effectifs ! L’organisation des rythmes d’alternance est jugée quant à elle trop contraignante pour les entreprises, ce qui entrave en conséquence la recherche des candidats à l’apprentissage ou au contrat de professionnalisation… Par ailleurs, le financement pourrait à terme être remplacé par celui du contrat de professionnalisation dont les conditions d’accès sont jugées moins complexes pour les candidats, mais dont le coût apparaît néanmoins plus onéreux pour les entreprises !

*Pour le moment aucune certitude concernant une fusion entre les 2 types de contrats d’alternance, dont la promesse avait été pourtant faite lors de la campagne présidentielle…

 

Développer la régulation du système de formation professionnelle par la qualité et renforcer l’accompagnement des actifs

Le gouvernement annonce qu’une transformation efficace ne sera possible qu’à la condition que le système de certification de l’offre de formation soit considérablement rénové. Toujours dans ce souci d’adaptabilité aux évolutions structurelles et conjoncturelles de notre société, le système d’offres de formation se devra de répondre à une double logique d’efficacité sur un plan à la fois économique et social. Pour cela, « donner plus de liberté aux actifs dans la gestion de leur droits peut nécessiter un accompagnement renforcé permettant une utilisation effective (répondant aux besoins des entreprises mais aussi des personnes) ».

Une plus grande transparence et communication sur la qualité des offres de formations sera alors nécessaire :

  • Un cadre des qualifications clair et simple (homogénéiser la notion de blocs de compétences), permettra d‘orienter l’ensemble des acteurs dans la compréhension de ce nouvel écosystème. En d’autres termes, la connaissance d’offres de formations professionnelles adaptées aux champs de compétences requis, permettra de répondre une nouvelle fois à cette quête de cohérence & de réalisme attendue. En ce sens, les offres de formation certifiées se révéleront être des indicateurs appropriés pour les entreprises et les individus, et devront être connues et accessibles par chacun ! 

« Avec plus de 10 000 certifications actives enregistrées au RNCP et 1200 certifications recensées à l’Inventaire, le système français ne semble pas répondre à cet impératif »

  • La mise en œuvre du CPF a enrichi également la finalité du RNCP, devenant également un prérequis pour l’accès à des financements mutualisés. Entraînant à la fois une hausse de la demande d’enregistrement au RNCP ainsi qu’une exigence plus forte des critères d’éligibilité….

Passer à une nouvelle étape de la démarche qualité de la formation – Les certificateurs soumis à une obligation de certification :

Pour rappel, le décret du 30 juin 2015 a fixé les 6 critères et le mode opératoire permettant d’améliorer la qualité en matière d’offres de formation : par le biais de labels /certifications (cf. liste du CNEFOP), soit par le biais d’une procédure d’évaluation en interne… Ainsi, afin de garantir une plus large transparence de l’offre de formation aux individus, les organismes délivreurs de formation pourront être à leur tour certifiés par le COFRAC (Comité Français d’Accréditation) via un système d’accréditation.

 

Si ces négociations aboutissent à un accord, elles pourront venir nourrir la future loi. L’objectif du gouvernement étant de déposer au printemps 2018 un projet de loi au Parlement !

 


ampoule détourée Afin de répondre au mieux à cette quête de transparence & de cohérence, il faudra tenir compte au gouvernement de l’ensemble des facteurs structurels et conjoncturels responsables de l’inadéquation entre les besoins d’emploi et la formation, à savoir ceux responsables d’une coexistence d’un chômage élevé et des besoins en recrutement non satisfaits. Ces complexités sont d’ailleurs de natures diverses, à savoir institutionnelles et administratives… Par exemple il existe en France un problème spécifique de formation des adultes et des jeunes peu ou pas qualifiés, « ce qui altère la possibilité de trouver un emploi pour un jeune demandeur mais aussi le maintien dans l’emploi des salariés faiblement qualifiés » (Livret Blanc “Quel avenir pour la Formation”- SYNOFDES).

Il serait pertinent de remonter à l’une des sources du problème, dans la mesure où l’on constate également des disparités en matière de compétences de bases, autrement dit les compétences acquises lors du passage de l’individu dans l’enseignement secondaire : compétences cognitives, linguistiques, mathématiques, interpersonnelles… Selon une étude menée par l’OCDE dans 14 pays, les travailleurs ayant perdu leur emploi sont ceux qui « mobilisaient le moins de compétences mathématiques, verbales, cognitives et interpersonnelles » avant le licenciement et qui occupaient des emplois requérant un niveau de formation moins élevé que le niveau moyen ». Il existe un “déficit criant en matières de compétences de base concernant toutes les classes d’âges et altère durablement nos politiques de l’emploi et notamment la réduction pérenne du chômage” (Livret Blanc “Quel avenir pour la Formation”- SYNOFDES).

Par ailleurs, les nombreuses transformations de l’économie impliquent la maîtrise de compétences clés et transversales par l’ensemble des actifs. Dans une logique schumpetérienne, les grandes évolutions que connaît actuellement notre pays nécessitent des compétences spécifiques permettant de faire face au développement du numérique mais aussi à la transition énergétique. On ne cesse de le répéter, de nouveaux écosystèmes voient le jour (ubérisation, décroissance, digitalisation, robotisation etc.) et modifient les modalités de conception, de fabrication, de distribution et d’échanges… qui à court terme engendrent des mutations conséquentes sur le marché de l’emploi. L’offre de formation professionnelle française doit par conséquent évoluer pour ne plus s’attacher seulement “au développement des compétences spécifiques attachées au poste de travail » mais pour embrasser plus largement les compétences transférables et transversales dont l’économie a besoin” (Livret Blanc “Quel avenir pour la Formation”- SYNOFDES).

«Rendre effectif le droit à l’orientation tout au long de la vie professionnelle suppose d’amener chaque actif à développer sa capacité à faire des choix de façon éclairée, en fonction des contextes et des enjeux de territoire, à un moment donné »

 

Enfin, l’objectif de transparence prôné par le gouvernement est primordial dans la mesure où certains droits individuels sont peu connus voire mal perçus par les citoyens : si 90 % des cadres déclarent avoir entendu parler du Compte Personnel de Formation (CPF), ce n’est le cas que de 57 % des employés et de 53 % des ouvriers. De même, les salariés en CDI sont aussi une majorité à connaître les différents dispositifs de formation comparé aux salariés en CDD (Sources IFOP 2017). Hors mis les processus à mettre en place, la transparence devra être ainsi impulsée par une communication publique plus soutenue de la part du gouvernement, du Pôle Emploi et de ses prestataires extérieurs chargés de la formation & de la réorientation des demandeurs d’emploi !

 

 

[1] Le CPF apparaît quant à lui encore trop peu visible pour les usagers « Malgré un effort de professionnalisation du CEP, celui-ci reste encore trop méconnu des 25,8 millions d’actifs occupés. » (livre blanc)