Les enjeux compétences de la transition écologique pour les certifications
La transition écologique, bien qu’elle ne dispose pas d’une définition officielle, peut être définie par diverses pratiques : toutes les modifications apportées aux modèles économiques, sociaux et politiques pour répondre aux critères du développement durable et pour minimiser les impacts écologiques de ces modèles. Ces changements s’appuient sur les recherches scientifiques d’organismes intergouvernementaux comme le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) et l’IPBES, ainsi que sur les efforts de nombreux autres organismes de recherche, de diffusion et de standardisation (cf. les travaux de l’ISSB) qui contribuent à orienter eux aussi ces pratiques, en partageant des informations sur le changement climatique.
Depuis 2014, et dans le cadre des accords de Paris, l’État adopte en moyenne une loi par an pour structurer les activités économiques en faveur de la transition écologique. Parmi ces lois, la loi Climat et Résilience constitue une traduction des engagements des accords de Paris et d’une partie du Green Deal européen dans le droit français. Elle représente le cadre juridique principal de l’action climatique en France, couvrant des domaines variés tels que les mobilités, l’habitat, l’alimentation et le commerce, avec un accent particulier sur les notions de durabilité. D’autres textes majeurs complètent ce cadre législatif, notamment la loi EGALIM, la loi AGEC, la loi de transition énergétique pour la croissance verte, ainsi que la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC). À l’échelle européenne, des directives comme la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), transposées en droit français, renforcent ces orientations.
Même si ces évolutions législatives permettent de donner un cadre aux activités économiques, elles ne peuvent à elles seules pallier toutes les problématiques impliquées par la transition écologique. Les évolutions attendues des métiers et des compétences concerneront l’ensemble des activités économiques, de l’agriculture aux achats industriels, en passant par la production d’énergie, le bâtiment ou la distribution.
Quels sont les enjeux liés à la transition écologique en matière d’emploi et de compétences ?
On ne cesse de le répéter, la transition écologique constitue un enjeu majeur pour l’économie française et mondiale ! Selon les projections du Shift Project, environ 1 million d’emplois pourraient être détruits d’ici 2050 en raison des transformations nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques. Toutefois, cette mutation n’est pas uniquement synonyme de perte : la planification écologique offre également des perspectives prometteuses, notamment dans les secteurs stratégiques comme le bâtiment, l’industrie ou encore l’énergie. À travers ces secteurs clés, la transition pourrait générer entre 200 000 et 550 000 emplois nets supplémentaires d’ici 2030, tout en mobilisant près de 8 millions de travailleurs dans des activités liées à la décarbonation et à la durabilité. Ces chiffres soulignent l’ampleur des défis à relever, mais également les opportunités qu’offre cette transformation pour bâtir une économie résiliente et durable.
- Le secteur du BTP illustre de manière frappante l’impact de la transition écologique, avec environ 250 000 créations d’emplois attendues d’ici 2030 pour répondre aux enjeux de cette transformation. Représentant à lui seul, avec l’immobilier, 40 % des émissions carbone et de la consommation énergétique mondiale, ainsi que 20 % de la ressource en eau, ce secteur est au cœur des défis environnementaux. Les priorités ne se limitent donc pas au recrutement et à la formation, mais incluent une révision en profondeur des pratiques actuelles. Cela s’avère essentiel pour faire face à la raréfaction de certaines ressources clés, comme certains métaux, notamment le cuivre.
- L’Industrie apparaît également comme un secteur lourdement impacté. À titre d’exemple, la filière de l’hydrogène, qui prévoit la création de 100 000 emplois d’ici 2030. Le projet « Def’Hy » a ainsi établi un échéancier des besoins en compétences, prévoyant la formation massive de différents profils : des ingénieurs très qualifiés entre 2023 et 2025, un nombre croissant de techniciens pour déployer les projets entre 2026 et 2028, puis des techniciens moins qualifiés pour assurer l’exploitation et la maintenance des installations à partir de 2029.
Ces fortes fluctuations engendrent une capacité à former les personnes dont les emplois seront détruits par la transition écologique. L’objectif étant de maintenir les salariés en emploi, mais aussi de les former en fonction des besoins en emploi et compétences. Ainsi, la transition écologique implique la création de nouveaux métiers comme le métier d’expert en décarbonation ou celui d’expert en retraitement des déchets. A noter que ces métiers apparaissent sur la liste des Métiers émergents 2024 de France compétences.
Hormis les secteurs du BTP et de l’Industrie, d’autres secteurs professionnels peuvent être en parallèle évoqués :
- Logistique et achats : De nouveaux risques sont à intégrer dans les décisions, en particulier en matière d’approvisionnement, concernant notamment les pratiques d’achats durables ou la gestion des actifs non financiers. Par exemple, dans le secteur de l’automobile, la valeur des titres de certains acteurs peut perdre jusqu’à 5% en une journée lorsque des ruptures d’approvisionnement (dues à des impacts climatiques non anticipés) surviennent. Par ailleurs, l’obligation de prendre en charge la gestion des déchets dès l’acte d’achat pousse les professionnels des achats et de la logistique à jouer un rôle de chef de projet. Ils doivent collaborer étroitement avec les fournisseurs pour développer des solutions durables, tout en veillant à leur conformité avec les nouvelles exigences légales.
- Assurances : La Caisse centrale de réassurance (CCR) estime entre 27 et 62% en moyenne la hausse de la sinistralité du seul fait du changement climatique à l’horizon 2050. C’est d’ailleurs pour ces raisons que les acteurs de l’assurance produisent de nombreux rapports prospectifs sur le changement climatique et ses conséquences. En parallèle, de plus en plus de grands acteurs du secteur de l’assurance développent, au-delà des produits et des expertises dédiés, des écoles de formation pour accompagner l’adaptation des entreprises aux impacts du changement climatique (cf. l’AXA Climate School qui propose une formation pour identifier les risques physiques, et mettre au point les mesures adéquates).
- Expertise comptable : Face à l’augmentation des obligations réglementaires de reporting environnemental, les pratiques se diversifient. Les enjeux principaux concernent l’intégration de nouvelles données, comme la consommation d’eau et d’énergie, dans les reportings extra financiers. Cela s’accompagne d’un besoin croissant de traduire en termes économiques des éléments non financiers, comme les impacts environnementaux ou sociaux, afin de répondre aux attentes en matière de durabilité. Cette démarche, souvent désignée par la notion de “double matérialité”, consiste à évaluer non seulement l’impact de l’entreprise sur l’environnement, mais aussi les risques environnementaux susceptibles d’affecter ses performances économiques. Par ailleurs, les méthodologies de reporting, telles que celles proposées par la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) ou l’ISSB, intègrent de plus en plus ces dimensions. Les experts comptables se doivent donc de suivre de près l’évolution de ces standards (cf. critères ESG, comptabilité verte) dans la mesure où leur maîtrise est devenue essentielle pour accompagner les entreprises dans ces nouvelles exigences, notamment pour garantir un accès favorable aux financements.
- Agriculture : Le développement de l’agriculture biologique, dont les emplois ont été multipliés par cinq depuis les années 1980, a transformé le paysage agricole. Cependant la filière reste confrontée à des difficultés de rentabilité. Des pratiques comme la méthanisation et la production de biocarburants offrent de nouveaux débouchés, bien que fragiles. Par ailleurs, le stockage de CO₂ et le déplacement des bassins de culture redéfinissent les métiers agricoles, imposant une actualisation constante des compétences, aussi bien dans les productions végétales et animales que dans la gestion forestière. D’autres évolutions structurelles se profilent, comme la baisse prévue de l’usage des énergies fossiles dans les exploitations, la réduction des intrants nécessaires pour maintenir les rendements, et le développement de l’agroforesterie. Enfin, la gestion des risques sanitaires, notamment ceux liés au déclin de la biodiversité, demeure un enjeu crucial pour l’avenir du secteur.
Quels défis compétences pour les acteurs de la formation ?
Un manque d’adéquation entre le besoin et l’offre de formation
Le réseau des Carif Oref, dans son étude expérimentale intitulée « Quels besoins en compétences et en formations en lien avec les métiers de la transition écologique ? », met en lumière un déséquilibre entre les besoins des métiers et l’offre de formation. Ce constat concerne notamment le niveau ou la disponibilité des compétences.
Ce diagnostic corrobore celui du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Lors d’une journée dédiée aux métiers de la transition écologique organisée par France Stratégie, son président, Frédéric Jobert, a identifié trois défis majeurs :
- Une répartition sectorielle inadaptée : certains secteurs, comme l’Industrie, manquent de formations spécialisées.
- Une offre géographique mal répartie : par exemple, aucune formation en analyse de cycle de vie n’était disponible dans les Pays de la Loire en 2022.
- Un manque d’engagement des apprenants : même en augmentant l’offre de formation, cela ne garantit pas une forte participation. De nombreux parcours « verts », notamment dans le secteur industriel, peinent à attirer des candidats.
Pourtant, les chiffres démontrent une forte dynamique de l’emploi dans les éco-activités, qui a progressé de 86 % entre 2004 et 2021, contre une hausse de seulement 12 % pour l’emploi total au niveau national. Malgré cela, le CPF (Compte Personnel de Formation) est très peu mobilisé pour les formations liées aux métiers verts, comme le souligne une étude du SGPE publiée en juillet 2024.
Caroline Renoux, fondatrice de Birdeo, illustre concrètement cette problématique : « Si un comptable n’est pas capable d’intégrer des données de carbone ou d’eau dans l’évaluation de la performance, il ne pourra pas continuer son métier ». Elle ajoute également qu’« aujourd’hui, il y a une pénurie de cadres qualifiés sur ces nouveaux sujets », mettant en évidence l’urgence d’adapter les compétences aux besoins émergents de la transition écologique.
Des compétences nouvelles mal ou partiellement appréhendées
Un exemple représentatif des écarts entre compétences attendues et mobilisées est celui de la réalisation du bilan carbone. Une entreprise peut réaliser un bilan carbone pour se conformer à la législation. Cela implique de maîtriser des bases de données et une méthodologie précise. Cependant des questions cruciales surgissent : comment cartographier les flux ? Avec qui collaborer ? Quelles métriques utiliser ? Comment définir les facteurs d’émissions ? Si l’internalisation de cette compétence offre une meilleure autonomie, elle ne suffit pas à répondre aux besoins stratégiques. La mesure d’une empreinte carbone n’est qu’une étape puisqu’il faut ensuite intégrer une dimension stratégique au bilan carbone, impliquer les parties prenantes et piloter l’ensemble comme un véritable projet. Le référentiel de compétences associé doit donc inclure des dimensions transversales : gestion stratégique, coordination interdisciplinaire et pilotage de projets.
Dans les secteurs industriels et du BTP, l’éco-conception et l’analyse de cycle de vie (ACV) sont au cœur des enjeux de transition. Ces pratiques nécessitent un éventail de compétences complémentaires. Par exemple, l’éco-conception ne se limite pas à des savoir-faire techniques ; elle repose aussi sur l’analyse stratégique pour identifier des opportunités, le pilotage de l’innovation et la chefferie de projet. Elle exige la capacité à associer un modèle d’affaires aux spécificités des produits ou services, impliquant la coordination d’équipes pluridisciplinaires (ingénieurs, acheteurs, financiers, spécialistes marketing) dès les phases de conception. Par ailleurs, elle demande une maîtrise approfondie des bases de données d’ACV, qu’elles soient généralistes ou sectorielles, ainsi que des techniques de créativité pour innover.
Une inflation réglementaire et technique difficile à appréhender
Cette inflation est souvent critiquée par certains acteurs économiques, tandis que d’autres entreprises, adoptant une posture proactive, considèrent ces directives comme de véritables leviers de développement. Par exemple, la directive CSRD ne s’applique actuellement qu’aux entreprises de plus de 500 salariés, ayant un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros ou un total de bilan de 20 millions d’euros. Pourtant, environ 5000 entreprises, bien en dessous de ces seuils, sont déjà impactées en raison de leur position dans la chaîne de valeur des entreprises concernées.
Les exigences liées aux critères ESG influencent directement l’accès au financement. Les fonds d’investissement et les banques accordent désormais des crédits à des tarifs préférentiels après avoir analysé ces critères. Cela signifie que les directeurs financiers doivent maîtriser l’étude des données ESG, et que les managers stratégiques cherchant à lever des fonds doivent être capables de lire, expliquer et contextualiser ces informations. La CSRD devient ainsi un outil stratégique pour consolider un plan d’action, bien au-delà d’une simple obligation de reporting. Par ailleurs, cette directive entraîne des évolutions dans les référentiels de compétences : les analystes financiers devront développer une expertise dans l’analyse des marchés de matières premières, tandis que les managers devront apprendre à rendre compte et à mobiliser les parties prenantes. Ce qui peut sembler être un sujet purement technique nécessite en réalité des compétences transversales, au-delà de la seule ingénierie.
Des évolutions sociales qui impactent également l’appréhension des compétences clés
Le cas du marketing illustre bien ces transformations. Les certifications en marketing intègrent désormais les enjeux du marketing responsable, comme la remise en question du modèle d’affaires ou la prise en compte des contraintes écologiques. Ces pratiques peuvent se limiter à garantir la fiabilité des données issues du reporting, mais elles peuvent aussi aller jusqu’à promouvoir des démarches éthiques, permettant ainsi de réduire les risques de greenwashing et, plus largement, les risques en matière de e-reputation.
Les cadres normatifs à mobiliser pour structurer un référentiel de compétences
Pour concevoir un référentiel de compétences adapté, plusieurs cadres normatifs et juridiques peuvent être utilisés comme repères :
– RSE/QSE : les normes ISO (9001, 14001, 26000), les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU, ainsi que des labels comme B-Corp ou Lucie.
– Bâtiment : le label RGE (Référent Garant de l’Environnement).
– Industrie : les filières REP (Responsabilité Élargie des Producteurs) et la loi AGEC, qui abordent des enjeux clés tels que le tri à la source, l’amélioration du recyclage, la traçabilité des déchets, le réemploi et l’éco-conception.
– Commerce : la loi AGEC et la loi EGALIM.
Ces cadres permettent ainsi de mieux structurer les référentiels de compétences en alignant les formations sur les exigences légales et environnementales des différents secteurs.
Conclusion :
La transition écologique requiert une adaptation des compétences et des certifications pour répondre aux enjeux environnementaux et économiques. Des métiers nouveaux émergent, nécessitant des compétences spécifiques souvent mal couvertes par l’offre de formation actuelle. L’alignement entre besoins métiers et certifications est crucial, incluant des dimensions transverses comme l’éco-conception et le marketing responsable. Les certifications doivent intégrer ces évolutions pour rester pertinentes face aux obligations réglementaires et aux attentes du marché !
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Martin BEIS (Consultant Lafayette) – Novembre 2024